mercredi 27 décembre 2006

Elle s'appelle Rita et a 87 ans. Elle a déjà eu une dent en or. C'était à la fois son petit côté pirate et sa grande classe. Elle est née en Ontario, dans un petit village, Saint-Albert. Pas très loin d'Ottawa. Pas trop proche non plus. Je sais que son grand-père s'appelait Évangéliste et ça m'a toujours fait bizarre. Elle a grandi sur une ferme. Avec des boîtes de métal remplies de charbon pour chauffer les lits et des enfants plein la véranda. Ses frères et soeurs s'appellent Hector, Gérard, Lucien, Thérèse, René, Jeanne et Rosaire. Ils ne sont plus que quatre. Elle a eu mal au coeur la première fois qu'elle est montée dans une automobile et s'habillait en homme pour poser sur des photos. Elle a enseigné le français dans les écoles de rang. Elle a quitté Ottawa. Elle est partie pour Montréal. Elle a toujours eu de longs cheveux. Bouclés. Noirs. Remontés en chignon qui ne tient que par quelques épingles. Puis du noir de ses cheveux n'est resté qu'une bande nageant dans le gris. Puis le noir a tourné au gris. Le temps a fait son oeuvre et le blanc règne sur sa sagesse. Elle a fait lire Camus a ses élèves anglophones. Elle a fait lire ses petits-enfants, leur a appris l'anglais et le français. Leur a passé la main le long de la colonne vertébrale quand ils ne s'asseyaient pas droit. Elle les a laissé pianoter sur le vieux piano vandalisé et désaccordé dans sa grande maison de pierre et de bois. Sous la pluie, elle a dompté ses cinq petits monstres puis les petits monstres de ses petits monstres. Elle les a envoyé jouer sous la pluie, prétextant le beau temps, pour respirer et se retrouver. Cinq enfants, huit petits-enfants. Elle a régné sur cette marmaille telle une louve jalouse de ses petits. Timide et fière, espiègle à mort. Elle ne dort pas dans un lit mais bien sur un divan. Elle s'endort, livre sur le nez et lumière allumée. Elle lit de grosses briques historiques qui font envie. Elle lisait des contes de fée à ses petites-filles et parlait de dragons et de chevaliers à ses petits-fils. Elle porte des foulards de soie en hachant du bois. Elle se baigne dans le lac quand personne ne regarde. Elle a été sauveteur à Ottawa, l'été de ses 18 ans. Elle fait de la tarte au sucre, des pâtés aux framboises et du macaroni au porc. Elle a emmené ses petits-enfants patiner à Ville Saint-Laurent. Elle leur disait que sur le canal Rideau, ils mettaient des valses pour les patineurs. Elle a voyagé et envoyé des cartes postales colorées, de partout dans le monde. Elle corde encore du bois. Elle est vive. Rita, c'est ma grand-mère préférée.

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